Quand il y a du trouble, il
y a du désir
Le premier essai est un coup de maître. Le "Doubts &
convictions" des Troublemakers possède l'expressivité
des meilleurs productions de la musique électronique actuelle.
Le réputé label chicagoan Guidance qui a sorti lalbum
début 2001 a "entendu juste".
Les "fauteurs de troubles" sont trois : DJ Oil (Lionel
Corsini), fibre funk et downtempo, Fred Berthet au background techno,
house et électro et Arnaud Taillefer, touche à tout
à l'aise dans l'électro-acoustique savante, le hip-hop
et les références cinématographiques. Le projet
est né à Marseille, métropole industrielle
en bord de Méditerranée. Ses lumières, la frénésie
urbaine, le port, la proximité de la mer, son activité
de grande ville fourmillante, les entrepôts, le métissage
et les accents d'un hip-hop maintenant réputé nourrissent
souterrainement la création du trio, même si les intéressés
se défendent d'être portés par une identité
marseillaise : «Notre musique aurait pu voir le jour n'importe
où» assurent-ils. Maison ne les croit quà
moitié.
Pour ceux que lon surnomme aujourdhui familièrement
les Trouble, l'intérêt de Guidance, au
catalogue principalement house, a été au départ
une surprise. Cest dire le coup de foudre quont eu les
américains pour leur première réalisation.
Les Troublemakers ne sont en effet que le deuxième groupe
a être produits sur Guidance pour un album. Un label américain
? : «c'est un peu délicat à gérer, mais
nous avons rapidement saisi la possibilité de nous démarquer
du "phénomène french-touch» analyse DJ
Oil.
Le caractère organique et aéré de ses compositions
confère à Doubts & convictions une richesse, une
profondeur et une immédiateté émotionnelle
rares. Cette maîtrise réside dans une grande inspiration
pour les rythmiques mesurées de sonorités jazz et
les atmosphères acoustiques qui les lient aux musiques noires
des 60s et des 70s ainsi quaux fameux soundtracks
de la blaxpoitation US. Ce matériau dense se laisse posséder
par une vigueur électro, cool et contemplative, qui sait
passer la vitesse supérieure et trouver une chaleur funk
engageante. Lalbum est remarquable par son inspiration et
son homogénéité. On sétonne dailleurs
que les trois ne se connaissaient pas au début de leur collaboration
: « on se sentait juste complémentaires ». Le
registre éclectique de Doubts & convictions s'étend
avec concision de la volupté d'un lounge façon jazz
Blue Note seventies aux montées d'adrénaline urbaines,
comme chez DJ Shadow, Kruder & Dorfmeister et les artistes du
label allemand Compost, influences avouées, ou déjà
classiques, ceux de Ninja Tune et Mo' Wax, qui ont posé leur
empreinte dans la musique actuelle. Et cette mixture est franchement
teintée dune sophistication, quon qualifiera
d«à la française»
Avec ce premier album, simplement et logiquement, les Troublemakers
se sont imposés. Et ont squatté lhorizon convoité
des musiques électroniques. Leurs compositions ont tranquillement
parsemé le High Fidelity Lounge de Guidance, la fameuse compilation
Hôtel Costes ou les samplers des publications françaises
de référence Technikart et Trax. Superbement illustratifs
et dune grande intensité, les morceaux ont fait le
bonheur des fonds sonores de documentaires, reportages et autres
génériques audio-visuels. Un signe qui ne trompe pas
sur le caractère incontournable des Troublemakers aujourdhui.
Dans lintervalle, le trio a acquis ses galons de remixers
au contact des uvres de Tony Allen ou de leurs collègues
marseillais Dupain. Et sest investi dans des projets personnels
comme DJ Oil avec Magic Malik ou Fred Berthet avec Copyshop, en
collaboration avec Geisha, jeune pousse de la musique électronique.
Côté scène, le show visuel conçu avec
leur équipe artistique les situent en France comme un des
premiers groupes électroniques à se soucier aussi
rigoureusement de limpact que peuvent apporter les images
au live, grâce à deux VJs (dont un quils
partagent avec Rinôcérôse) et un
travail élaboré de lumières.
Si Play It Again Same ressort Doubts & Convictions en février
2002, cest que les professionnels pressentaient quon
nétait pas encore venu à bout de ce disque !
Que luvre nétait pas un article périssable
généré par lindustrie du disque mais
un produit culturel riche dont la pérennité saffirme,
toujours plus forte et organique, au fil des écoutes. C'est
la nature, le secret de ce "trouble" quArnaud Taillefer,
Fred Berthet et DJ Oil ont le désir d'instiller et qui est
leur signature.
Hervé Lucien, février
2002
|